Roman "classique"
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Mrs Dalloway
de Virginia Woolf
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Gallimard, coll. « Folio », poche
358 pages
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Si tu n’aimes pas les longs monologues intérieurs, Ô Hôte, ce livre n’est pas pour toa. Si tu n’aimes que ce qui bouge, ce qui trahit, ce qui brûle et ce qui secoue, ce livre n’est pas pour toa, Ô Adoré. Si tu ne veux pas prendre ton temps, passe ton chemin.
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Parce que Mrs Dalloway est un roman avec lequel on flâne, dans lequel on puise une phrase pour en apprécier toute la portée, sa poésie, sa consistance, son sens et ses répercutions…
Pour preuve : une journée se passe en quelques 350 pages… Une journée type dans la vie de Clarissa Dalloway, épouse de Richard, qui s’apprête à donner une soirée, une de ces si belles réceptions dont elle a le secret et qui font sa réputation.
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Là, elle va acheter des fleurs, et s’arrête sur un détail, médite dessus, laisse ses pensées vagabonder en tous sens et son attention s’attarder sur des impressions, des sentiments, des expressions…
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Et puis la narration change subtilement de narrateur, et l’on capte les pensées d’un passant, lui aussi serait-il invité à la fête de ce soir ? Rien n’est moins sûr, dans toute cette évanescence de bulles de savon dispatchées, s’évaporant sans qu’on ait le temps de les saisir, trop occupées que nous sommes à suivre le cours sinueux des pensées d’untel…
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Ici, elle reçoit Peter Walsh, son amour perdu, celui qui est parti il y a des années, celui qu’elle n’a pas épousé, et je te laisse un morceau choisi par la rédaction, pour que tu saisisses ce dont je veux parler, parce qu’un discours mal fagotté ne vaut pas un extrait directement puisé à la source :
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.......... « Et Clarissa s'était penchée vers lui, lui avait prit la main, l'avait attiré vers elle, l'avait embrassé - elle avait, en fait, senti son visage à lui contre le sien avant de pouvoir maitriser le brandissement des plumets aux éclairs d'argent qui s'agitaient dans sa poitrine comme l'herbe des pampas en pleine tempête tropicale. Puis tout s'était calmé et elle s'était retrouvée lui tenant la main, lui tapotant le genou, et s'était sentie, en se redressant, incroyablement à l'aise avec lui, le cœur léger ; et d'un coup avait surgi comme une évidence : si je l'avais épousé, j'aurais connu cette allégresse à chaque instant.
.......... Pour elle, c'était terminé. Le drap était bien tendu, et le lit étroit. Elle était montée seule dans la tour, laissant les autres cueillir des mûres au soleil. La porte s'était refermée et là, dans la poussière du plâtre écaillé et les restes des nids d'oiseaux, comme le paysage paraissait lointain, et les bruits faibles, glacés (une fois, à Leith Hill, se rappelait-elle), et Richard ! Richard ! avait-elle crié, comme un dormeur la nuit sursaute et étend la main dans le noir pour demander du secours. Il déjeunait avec Lady Bruton, cela lui revint. Il m'a quittée ; je suis seule pour toujours, se dit-elle, croisant les mains sur son genou.
.......... Peter Walsh s'était levé, il était allé à la fenêtre, il lui tournait le dos, et se passait nerveusement un grand mouchoir sur le visage. Il avait l'air imposant, sec, solitaire, ses omoplates maigres soulevaient un peu sa veste ; il se mouchait bruyamment. Emmenez-moi, pensa impulsivement Clarissa, comme s'il prenait incessamment le départ pour un grand voyage ; et puis, la minute d'après, ce fut comme si les cinq actes d'une pièce qui avait été très excitante, très émouvante, étaient maintenant terminés, et qu'elle avait vécu, pendant leur déroulement, une vie entière, qu'elle s'était enfuie de chez elle, qu'elle avait vécu avec Peter et que c'était maintenant terminé. »
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Mrs Dalloway, je suis persuadée qu’on doit le lire au moins une fois dans sa vie, mais pas une fois obligé par l’école, mais quand on se sent prêt. Quand les longues tergiversations ne nous effraient pas ; quand on se sent d’humeur baladeuse ; quand on veut se promener le long de tableaux impressionnistes ; quand on désire des portraits de vie, de la simplicité, de la profondeur d’âme…
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Oui, c’est un livre relativement ardu, mais il y a pire. Et puis, si tu disposes d’un après-midi ensoleillé, d’un banc en pierre sous un saule, de ce cadre calme et Romantique, d’une petite table en fer où trône un service à thé en porcelaine [plein, le service !], il ne te manque qu’une seule chose, et là, tu seras prêt à percevoir la beauté d’un mot, l’intensité d’une idée lancée par madame Woolf.
2 commentaires:
Ah ben voilà l'article que j'attendais ! ;)
Je crois que tu as au moins raison sur un point, il faut lire ce livre "quand on se sent prêt". Je ré-essaierai de le lire, j'en suis persuadée. Et puis j'enchainerai avec la relecture de "Les heures" (oui, le "de les" n'est pas harmonieux du tout, mais que veux-tu...).
Merci bien pour ce bel article.
>>> Oui, "Les Heures" sont également sur ma liste ( celle des livres pas encore achetés mais qu'il faudra faire sans tarder... ). Parce que finalement, le film ne relate pas ce livre-là, mais bien celui de Michael Cunningham.
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